Benjamin
2008-02-21 23:55:54 UTC
Par Nikita Petrov, pour RIA Novosti
L'Algérie a rendu à la Russie quinze chasseurs MiG-29SMT achetés en
2006-2007 à la corporation MiG. Il est à noter qu'elle l'a fait à la
veille de la visite du président Abdelaziz Bouteflika à Moscou,
suscitant ainsi un scandale immédiatement récupéré par la presse.
Cet incident est regrettable, et pas seulement parce qu'Alger a ainsi
exprimé son mécontentement envers un produit militaire "défectueux"
livré par des producteurs russes. C'est en fait toute la coopération
militaire et technique entre les deux Etats qui se trouve remise en
question. Une somme rondelette de 7 milliards de dollars est en jeu:
c'est le montant des contrats signés par les représentants de la
Russie au cours de la visite du président Vladimir Poutine en Algérie
(mars 2006).
D'ailleurs, il s'agit de la première réclamation aussi ostensible dans
toute l'histoire de la coopération militaire et technique de la Russie
avec les pays étrangers. Quelle en est la raison?
Bien que la coopération militaire et technique soit un sujet assez
délicat et qu'il soit par conséquent impossible d'en connaître
exactement tous les détails, les experts affirment que les causes sont
nombreuses. Ils évoquent, entre autres, la lutte entre différents
clans et groupements politiques et à l'intérieur même de l'Algérie.
Les livraisons d'armes ne s'effectuent jamais sans intermédiaires
touchant d'imposants pourcentages pour chaque transaction. Bien
entendu, dans un tel schéma, ceux qui restent sans contrats se
satisfont rarement du fait de ne pas avoir eu la possibilité d'y
participer. Les intrigues de toutes sortes sont ici difficilement
évitables. Cependant, lorsque les pouvoirs de ceux qui ont conclu un
contrat sont solides et immuables, ce genre de scandale n'atteint
jamais une envergure universelle.
Mais il y a aussi d'autres causes, on peut citer notamment la
concurrence soutenue sur le marché des armes. On sait que Paris,
toujours en quête de débouchés pour ses chasseurs Rafale, prétendait
également à un contrat aéronautique avec l'Algérie. Mais les Algériens
ont choisi le MiG-29SMT, d'autant que les conditions du contrat
étaient très avantageuses. Premièrement, le prix du chasseur russe est
sensiblement inférieur à celui de son concurrent français, alors que
leurs caractéristiques tactiques et techniques sont, dans une grande
mesure, semblables. Deuxièmement, Moscou a vendu des avions de guerre
à l'Algérie dans le cadre du remboursement de la dette algérienne
envers l'ex-URSS et la Russie, son successeur. Qui plus est, la Russie
a proposé de reprendre, en tant que paiement pour les chasseurs, les
vieux MiG-29 (36 appareils) achetés jadis par l'Algérie à l'Ukraine et
à la Biélorussie et déjà été exploités par les forces aériennes
algériennes. Qui aurait pu renoncer à de tels avantages?!
Il paraît incroyable que les Mig-29SMT livrés à l'Algérie (ainsi que
les autres biplaces et avions d'entraînement), aient pu être
défectueux. Les exportateurs russes d'armements, qui se refusent à
commenter cet incident au niveau officiel, affirment qu'avant leur
envoi sur la côte Sud de la Méditerranée, les avions avaient été
réceptionnés par des spécialistes algériens, qui les avaient eux-mêmes
vérifiés à leur arrivée dans le pays également, et qui avaient même
commencé à les exploiter. Comment peut-on parler, dans un tel schéma,
de quelque réclamation que ce soit, de "pièces détachées d'occasion"
et parfois couvertes de rouille, si personne ne les avait décelées
jusqu'à présent sur ces appareils? Mais ces questions rhétoriques
n'ont plus aucun sens. La Russie a signé l'accord portant sur le
renvoi des 15 MiG et elle doit désormais l'accepter.
Cependant, on ne peut que concéder à la partie algérienne que le
niveau d'exécution des commandes à l'exportation a considérablement
baissé ces derniers temps dans les entreprises du complexe militaro-
industriel russe. Même les responsables du secteur en parlent
ouvertement: Sergueï Ivanov, premier vice-premier ministre et chef de
la commission militaro-industrielle, et Vladislav Poutiline, son
premier adjoint. Lors de la récente conférence de l'Académie des
sciences militaires, M. Poutiline a déclaré: "Bien que les entreprises
du complexe militaro-industriel aient augmenté ces derniers mois leur
production de plus de 14% (+19,1% pour la production militaire, et
+7,6% pour la production civile), certaines d'entre elles ne sont pas
en mesure de satisfaire la commande militaire de l'Etat. Qui plus est,
elles ne sont pas en mesure d'employer intégralement les sommes
allouées, bien que le budget fédéral ne soit pas avare à leur égard et
ce, depuis longtemps. Par exemple, 800 milliards de roubles (plus de
22 milliards d'euros) ont été alloués pour 2008 pour les questions de
Défense, 900 milliards de roubles (près de 25 milliards d'euros) sont
prévus pour 2009 et 1.100 milliards de roubles (plus de 30 milliards
d'euros) pour 2010".
Les raisons de cet état de choses dans le complexe militaro-industriel
russe sont bien connues. C'est d'abord le vieillissement des cadres
hautement qualifiés, dont l'âge moyen approche dangereusement de l'âge
de la retraite. C'est aussi le vieillissement des chaînes
technologiques et du parc de machines-outils: l'âge des principaux
équipements dans l'industrie de l'armement a depuis longtemps dépassé
les trente ans. Des technologies très importantes ont été perdues, des
contacts de longue date en matière de coproduction ont été rompus, les
usines connaissent un déficit ou un manque total de matières premières
et matériaux dont elles ont besoin. Il convient également de
mentionner la hausse incontrôlée des prix des matières énergétiques
qui dépassent les taux d'inflation et les prévisions sur lesquelles
table le ministère du Développement économique. Il est déjà clair que
la commande militaire de l'Etat approuvée il y a deux ans pour la
période 2006-2015 ne sera pas satisfaite, ni au niveau du panel de
produits commandés, ni en quantité. C'est déjà la troisième fois que
l'industrie d'armement fait "capoter" une commande militaire de
l'Etat.
Les diplômés des instituts techniques ne postulent pas dans
l'industrie de l'armement en raison des salaires relativement bas et
de l'impossibilité d'y faire rapidement carrière à la différence, par
exemple, des secteurs minier ou pétrogazier. Pour devenir un
spécialiste compétent du complexe militaro-industriel, il faut y
travailler non pas un an ou deux, mais au moins dix ans. Il est
impossible d'y apprendre le métier à brûle-pourpoint. Il faut
également mentionner une autre raison. Auparavant, les employés des
usines militaires étaient dispensés de service militaire. A présent,
ce privilège n'existe plus. De plus, les jeunes diplômés des écoles
professionnelles et collèges techniques préfèrent aller travailler
n'importe où ailleurs, pourvu que l'octroi d'un passeport ne soit pas
un problème (en Russie, les employés du secteur militaro-industriel
sont soumis à des restrictions en matière de voyages à l'étranger,
ndlr.).
Une autre difficulté réside dans l'absence d'écoles professionnelles
techniques aujourd'hui en Russie. La formation de la relève des
ouvriers n'est pas assurée dans le pays. Les bons tourneurs,
fraiseurs, monteurs ou soudeurs sont introuvables. Hélas, sans eux, il
est impossible de construire de bons avions, missiles et navires.
Vladislav Poutiline affirme que "les causes de cet état de choses dans
l'industrie de l'armement sont connues. Les conversations à ce sujet,
dans différents formats et dans toutes les branches du pouvoir, sont
devenues habituelles. Mais on n'arrive toujours pas à organiser le
travail en commun des organes fédéraux du pouvoir exécutif, des
organisations et des entreprises en vue de remédier à ces défauts".
Les avions russes qui font l'objet de la réclamation algérienne ont
probablement concentré tous ces problèmes dont on parle beaucoup, mais
contre lesquels rien n'est fait. Le fait est que le scandale du renvoi
des MiG en Russie pourrait ne pas se répercuter uniquement sur les
rapports entre Moscou et Alger (à ce propos, l'Algérie a suspendu les
paiements pour tous les autres contrats conclus au cours de la visite
de Vladimir Poutine en Algérie). Un coup dur a été porté au prestige
de la Russie en tant qu'exportateur d'armes, ce qui peut laisser
présager de gros ennuis en perspective. Sur le marché mondial des
armements, les erreurs se paient cash, et très cher.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte
responsabilité de l'auteur.
L'Algérie a rendu à la Russie quinze chasseurs MiG-29SMT achetés en
2006-2007 à la corporation MiG. Il est à noter qu'elle l'a fait à la
veille de la visite du président Abdelaziz Bouteflika à Moscou,
suscitant ainsi un scandale immédiatement récupéré par la presse.
Cet incident est regrettable, et pas seulement parce qu'Alger a ainsi
exprimé son mécontentement envers un produit militaire "défectueux"
livré par des producteurs russes. C'est en fait toute la coopération
militaire et technique entre les deux Etats qui se trouve remise en
question. Une somme rondelette de 7 milliards de dollars est en jeu:
c'est le montant des contrats signés par les représentants de la
Russie au cours de la visite du président Vladimir Poutine en Algérie
(mars 2006).
D'ailleurs, il s'agit de la première réclamation aussi ostensible dans
toute l'histoire de la coopération militaire et technique de la Russie
avec les pays étrangers. Quelle en est la raison?
Bien que la coopération militaire et technique soit un sujet assez
délicat et qu'il soit par conséquent impossible d'en connaître
exactement tous les détails, les experts affirment que les causes sont
nombreuses. Ils évoquent, entre autres, la lutte entre différents
clans et groupements politiques et à l'intérieur même de l'Algérie.
Les livraisons d'armes ne s'effectuent jamais sans intermédiaires
touchant d'imposants pourcentages pour chaque transaction. Bien
entendu, dans un tel schéma, ceux qui restent sans contrats se
satisfont rarement du fait de ne pas avoir eu la possibilité d'y
participer. Les intrigues de toutes sortes sont ici difficilement
évitables. Cependant, lorsque les pouvoirs de ceux qui ont conclu un
contrat sont solides et immuables, ce genre de scandale n'atteint
jamais une envergure universelle.
Mais il y a aussi d'autres causes, on peut citer notamment la
concurrence soutenue sur le marché des armes. On sait que Paris,
toujours en quête de débouchés pour ses chasseurs Rafale, prétendait
également à un contrat aéronautique avec l'Algérie. Mais les Algériens
ont choisi le MiG-29SMT, d'autant que les conditions du contrat
étaient très avantageuses. Premièrement, le prix du chasseur russe est
sensiblement inférieur à celui de son concurrent français, alors que
leurs caractéristiques tactiques et techniques sont, dans une grande
mesure, semblables. Deuxièmement, Moscou a vendu des avions de guerre
à l'Algérie dans le cadre du remboursement de la dette algérienne
envers l'ex-URSS et la Russie, son successeur. Qui plus est, la Russie
a proposé de reprendre, en tant que paiement pour les chasseurs, les
vieux MiG-29 (36 appareils) achetés jadis par l'Algérie à l'Ukraine et
à la Biélorussie et déjà été exploités par les forces aériennes
algériennes. Qui aurait pu renoncer à de tels avantages?!
Il paraît incroyable que les Mig-29SMT livrés à l'Algérie (ainsi que
les autres biplaces et avions d'entraînement), aient pu être
défectueux. Les exportateurs russes d'armements, qui se refusent à
commenter cet incident au niveau officiel, affirment qu'avant leur
envoi sur la côte Sud de la Méditerranée, les avions avaient été
réceptionnés par des spécialistes algériens, qui les avaient eux-mêmes
vérifiés à leur arrivée dans le pays également, et qui avaient même
commencé à les exploiter. Comment peut-on parler, dans un tel schéma,
de quelque réclamation que ce soit, de "pièces détachées d'occasion"
et parfois couvertes de rouille, si personne ne les avait décelées
jusqu'à présent sur ces appareils? Mais ces questions rhétoriques
n'ont plus aucun sens. La Russie a signé l'accord portant sur le
renvoi des 15 MiG et elle doit désormais l'accepter.
Cependant, on ne peut que concéder à la partie algérienne que le
niveau d'exécution des commandes à l'exportation a considérablement
baissé ces derniers temps dans les entreprises du complexe militaro-
industriel russe. Même les responsables du secteur en parlent
ouvertement: Sergueï Ivanov, premier vice-premier ministre et chef de
la commission militaro-industrielle, et Vladislav Poutiline, son
premier adjoint. Lors de la récente conférence de l'Académie des
sciences militaires, M. Poutiline a déclaré: "Bien que les entreprises
du complexe militaro-industriel aient augmenté ces derniers mois leur
production de plus de 14% (+19,1% pour la production militaire, et
+7,6% pour la production civile), certaines d'entre elles ne sont pas
en mesure de satisfaire la commande militaire de l'Etat. Qui plus est,
elles ne sont pas en mesure d'employer intégralement les sommes
allouées, bien que le budget fédéral ne soit pas avare à leur égard et
ce, depuis longtemps. Par exemple, 800 milliards de roubles (plus de
22 milliards d'euros) ont été alloués pour 2008 pour les questions de
Défense, 900 milliards de roubles (près de 25 milliards d'euros) sont
prévus pour 2009 et 1.100 milliards de roubles (plus de 30 milliards
d'euros) pour 2010".
Les raisons de cet état de choses dans le complexe militaro-industriel
russe sont bien connues. C'est d'abord le vieillissement des cadres
hautement qualifiés, dont l'âge moyen approche dangereusement de l'âge
de la retraite. C'est aussi le vieillissement des chaînes
technologiques et du parc de machines-outils: l'âge des principaux
équipements dans l'industrie de l'armement a depuis longtemps dépassé
les trente ans. Des technologies très importantes ont été perdues, des
contacts de longue date en matière de coproduction ont été rompus, les
usines connaissent un déficit ou un manque total de matières premières
et matériaux dont elles ont besoin. Il convient également de
mentionner la hausse incontrôlée des prix des matières énergétiques
qui dépassent les taux d'inflation et les prévisions sur lesquelles
table le ministère du Développement économique. Il est déjà clair que
la commande militaire de l'Etat approuvée il y a deux ans pour la
période 2006-2015 ne sera pas satisfaite, ni au niveau du panel de
produits commandés, ni en quantité. C'est déjà la troisième fois que
l'industrie d'armement fait "capoter" une commande militaire de
l'Etat.
Les diplômés des instituts techniques ne postulent pas dans
l'industrie de l'armement en raison des salaires relativement bas et
de l'impossibilité d'y faire rapidement carrière à la différence, par
exemple, des secteurs minier ou pétrogazier. Pour devenir un
spécialiste compétent du complexe militaro-industriel, il faut y
travailler non pas un an ou deux, mais au moins dix ans. Il est
impossible d'y apprendre le métier à brûle-pourpoint. Il faut
également mentionner une autre raison. Auparavant, les employés des
usines militaires étaient dispensés de service militaire. A présent,
ce privilège n'existe plus. De plus, les jeunes diplômés des écoles
professionnelles et collèges techniques préfèrent aller travailler
n'importe où ailleurs, pourvu que l'octroi d'un passeport ne soit pas
un problème (en Russie, les employés du secteur militaro-industriel
sont soumis à des restrictions en matière de voyages à l'étranger,
ndlr.).
Une autre difficulté réside dans l'absence d'écoles professionnelles
techniques aujourd'hui en Russie. La formation de la relève des
ouvriers n'est pas assurée dans le pays. Les bons tourneurs,
fraiseurs, monteurs ou soudeurs sont introuvables. Hélas, sans eux, il
est impossible de construire de bons avions, missiles et navires.
Vladislav Poutiline affirme que "les causes de cet état de choses dans
l'industrie de l'armement sont connues. Les conversations à ce sujet,
dans différents formats et dans toutes les branches du pouvoir, sont
devenues habituelles. Mais on n'arrive toujours pas à organiser le
travail en commun des organes fédéraux du pouvoir exécutif, des
organisations et des entreprises en vue de remédier à ces défauts".
Les avions russes qui font l'objet de la réclamation algérienne ont
probablement concentré tous ces problèmes dont on parle beaucoup, mais
contre lesquels rien n'est fait. Le fait est que le scandale du renvoi
des MiG en Russie pourrait ne pas se répercuter uniquement sur les
rapports entre Moscou et Alger (à ce propos, l'Algérie a suspendu les
paiements pour tous les autres contrats conclus au cours de la visite
de Vladimir Poutine en Algérie). Un coup dur a été porté au prestige
de la Russie en tant qu'exportateur d'armes, ce qui peut laisser
présager de gros ennuis en perspective. Sur le marché mondial des
armements, les erreurs se paient cash, et très cher.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte
responsabilité de l'auteur.